LE SENS DES SAMAYAS DANS LE BOUDDHISME TIBÉTAIN
Dans le bouddhisme tibétain, et plus particulièrement dans le Vajrayana, les samayas (ou damsik en tibétain) sont des engagements sacrés et des vœux qui lient profondément le pratiquant à la voie tantrique. Ces engagements ne concernent pas seulement le pratiquant individuellement, mais aussi sa relation avec son maître spirituel, ses frères et sœurs de pratique (appelés frères et sœurs de Vajra), et l’ensemble des enseignements du Vajrayana.
LA NATURE DES SAMAYAS
Les samayas ne sont pas de simples promesses ou obligations formelles. Ils représentent un lien sacré qui, lorsqu’il est maintenu pur, permet d’ouvrir le chemin spirituel de manière fluide et rapide. Dans le contexte du Vajrayana, ces engagements sont fondamentaux car cette voie demande un grand degré de responsabilité et de discipline spirituelle. Ils sont à la fois un guide pour le comportement et une méthode pour développer une profonde transformation intérieure.
Le maître spirituel joue un rôle central dans le Vajrayana, car c’est lui qui transmet les initiations tantriques et les instructions ésotériques. Les samayas sont donc intrinsèquement liés à la relation avec ce maître, ainsi qu’aux autres pratiquants avec qui on partage les mêmes enseignements et pratiques.
LES SAMAYAS DES TANTRA ANCIENS
Les tantras anciens de l’école Nyingmapa ont pour principe de base les samayas du Guhyagarbhatantra. Dans celui-ci, on mentionne cinq samayas principaux et dix samayas secondaires.
Les 5 samayas principaux
1. Ne pas abandonner l’insurpassable.
C’est le vœu de ne jamais abandonner les deux aspects de la bodhichitta, relative et absolue, au cours de la pratique du Vajrayana. Cet engagement apparaît dès lors comme l’application pratique du principe de compassion à travers les moyens habiles, en prenant soin de maintenir la vue de la vacuité et de la pureté originelle de tous les phénomènes (bodhichitta absolue), appelés prajna dans les tantras.
Le débutant aspire à développer la vue de l’égalité et de la pureté de tous les phénomènes et développe la confiance en cette vue, tout en cultivant la compassion. Peu à peu, sa réalisation croît et, avec elle, le maintien du principe de l’insurpassable dans toutes ses activités. La faute serait de perdre la confiance en la vue et la motivation altruiste, ou bien de cultiver la vue dans la pratique et de l’oublier dans la vie quotidienne, ce qui revient à se comporter comme un être ordinaire.
2. Honorer son maître.
C’est au maître que le disciple doit de pouvoir développer les qualités de la pratique. Sans lui, rien n’est possible dans le Vajrayana. En conséquence, le disciple doit s’efforcer de l’honorer :
Par le corps : le service rendu au maître.
Par la parole : ne pas médire du maître, mais toujours en parler avec respect.
Par l’esprit : ne pas se fâcher contre le maître et entretenir des vues pures à son égard.
Cela vaut pour tous les maîtres dont l’étudiant reçoit des instructions du Vajrayana à divers degrés, mais importe encore plus pour le maître racine ou principal.
3. Utiliser sans cesse mantra et mudra.
C’est le maintien quotidien de la récitation du mantra et de la visualisation de soi-même comme la déité. Le principe de ce vœu est le maintien d’une pratique régulière.
4. Être bienveillant à l’égard de ceux qui sont engagés sur la voie authentique.
Ce vœu concerne tous ceux qui suivent le Mahayana ou le Vajrayana, et plus spécialement les frères et sœurs de Vajra qui suivent le même maître de Vajra. Ils sont engagés les uns envers les autres dans un lien d’amitié et de soutien spirituel jusqu’à l’éveil. Quelle que soit la nature de leurs relations mondaines (amis, amants, mari et femme, etc.), ils ne doivent jamais abandonner l’amour et la bienveillance entre eux.
5. Ne pas divulguer les secrets.
Un pratiquant du Vajrayana ne doit jamais révéler les méthodes secrètes du tantra à des non-initiés, pour éviter toute interprétation erronée de leur part.
Il s’agit essentiellement de :
Ne pas parler de la vue des tantras.
Ne pas parler des détails de sa pratique personnelle.
Ne pas faire montre de ses accomplissements.
Ne pas se conduire de manière spéciale ou excentrique.
Les samayas secondaires
Cinq concernent les cinq poisons à ne pas abandonner, mais à utiliser habilement sur la voie pour développer les cinq sagesses.
Les cinq autres concernent les cinq “nectars”, à ne pas abandonner. Autrement dit, il s’agit de dépasser la vue du pur et de l’impur dans la pratique.
À cela, on peut ajouter les fautes qui endommagent les samayas, comme :
- L’inattention dans la pratique.
- Ne pas faire d’offrandes aux dates prévues.
- La paresse.
- La distraction.
- L’avarice dans les offrandes.
- Manger la première part des offrandes destinées aux mandalas.
- L’insouciance et la grossièreté de comportement.
LES SAMAYAS DES TANTRAS NOUVEAUX
Dans les tantras des écoles nouvelles (Sakyapa, Kagyupa, Guéloukpa), on énumère quatorze chutes concernant le samaya-racine et huit concernant le samaya secondaires.
Les 14 chutes racines
- Tromper ou offenser le maître de Vajra, le rejeter, le blâmer, le critiquer.
- Critiquer l’enseignement du Tathagata, le mettre en doute, ne pas respecter ses conseils.
- Critiquer les frères et sœurs de Vajra et céder à la colère contre eux. Si cela arrive, réparer rapidement.
- Rejeter l’amour bienveillant à l’égard des êtres, être envieux, jaloux, souhaiter du mal.
- Rejeter la bodhicitta d’aspiration et de mise en action.
- Dénigrer sa propre école et celle d’autrui.
- Révéler les secrets du Vajrayana aux profanes.
- Mépriser les cinq agrégats, notamment le corps.
- Rejeter la vacuité.
- Fréquenter des êtres malveillants ou malfaisants, comme des amis qui détournent le pratiquant de sa voie.
- Oublier la vue du Vajrayana.
- Détourner autrui de sa foi, mépriser la voie spirituelle des autres et les faire douter.
- Ne pas se consacrer aux vœux des tantras, par exemple refuser les substances consacrées lors d’une tsok. Refuser viande, alcool. Même un moine, pour qui l’alcool est strictement prohibé, doit, s’il est engagé dans le Vajrayana, accepter symboliquement une goutte d’alcool dans la tsok. Ne pas utiliser les objets rituels (dorjé et cloches damaru) lorsqu’ils sont requis.
- Mépriser les femmes. Celles-ci sont de la nature de la sagesse et doivent être considérées comme des dakini. La misogynie sous toutes ses formes est une chute grave dans le Vajrayana.
Les 8 chutes secondaires
- S’accaparer la sagesse : pratiquer avec une karmamudra n’ayant pas les qualités requises, c’est-à-dire une personne non initiée, ne respectant pas les vœux de samaya et n’ayant aucune expérience de la pratique.
- S’accaparer le nectar : pratiquer l’union en oubliant de considérer le corps comme la déité, la parole comme le mantra, et l’esprit comme l’expression de la sagesse.
- Révéler les objets rituels : moudras et images sacrées à des personnes sans foi ou n’ayant pas reçu de transmission de pouvoir (Wang).
- Se quereller lors d’une tsok.
- Tromper ceux qui ont la foi : leur donner sciemment de mauvaises réponses.
- Séjourner plus d’une semaine chez un shravaka, c’est-à-dire demeurer plus de sept jours chez quelqu’un d’hostile au Vajrayana.
- Se vanter d’accomplissements spirituels que l’on n’a pas : prétendre être un grand yogi.
- Enseigner le Vajrayana à ceux qui n’ont pas foi en lui.
MAINTENIR DES SAMAYA PURS
La pureté des samayas est essentielle pour la progression rapide sur le chemin tantrique. Lorsque ces engagements sont respectés, le pratiquant accumule du mérite, reçoit les bénédictions du maître et transcende les émotions perturbatrices. En revanche, rompre ces samayas peut entraîner des obstacles spirituels, des souffrances émotionnelles et des difficultés sur le chemin de l’éveil.
Si, dans une assemblée, il se trouve un seul individu ayant détérioré le samaya, y aurait-il près de lui cent ou mille personnes fidèles au leur que, contaminés, ils ne tireraient aucun fruit de leur pratique… Tout comme une seule goutte de lait tournée est à même de faire tourner un pot entier de lait sain, ou une seule grenouille infectée de couvrir de plaies les autres.
Une goutte de lait tournéFait tourner tout le laitUn seul yogi transgresseurRend impuissants tous les yogis
Patrul Rinpoche “Le Chemin de la Grande Perfection”
Il est important de noter que dans le Vajrayana, il existe des pratiques de purification spécifiques pour restaurer les samayas lorsqu’ils ont été endommagés ou rompus, mais la prévention reste la clé pour avancer sereinement sur la voie.
Que la purification suive la confession, voilà qu’iront faciles la réparation des infractions au samaya tantrique.
Dans la tradition des shravakas, commettre une chute principale complète, c’est comme briser un pot de terre. Il est impossible de le réparer. Pour les vœux de Bodhisattva, c’est comme casser un objet fait de matière précieuse. Avec l’aide d’un ami de bien, la réparation est possible, comme celle de l’objet si on confie celui-ci à un orfèvre compétent.
En ce qui concerne les vœux tantriques, cette chute revient à cabosser légèrement un objet fait de métal précieux. On peut s’en purifier totalement par soi-même si l’on s’en confesse à l’aide des divinités, des mantras et concentration.
Quand la confession a lieu tout de suite, se purifier est facile. En revanche, lorsqu’on tarde, le mal prend graduellement de l’ampleur et la confession devient plus difficile. Il est dit qu’au-delà de trois ans, on sort de la sphère du confessable. La confession ne purifie plus.
Patrul Rinpoché “Le Chemin de la Grande Perfection”
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